Le Hallyu est souvent cité comme le meilleur exemple du soft power coréen. Si Séoul profite des retombées bénéfiques en voyant son influence culturelle et économique s’accroitre dans la zone Asie, les fonctionnaires coréens ne font que prendre le train en marche.
C’est à la fin des années 90 que les dramas coréens et la k-pop commencent à fasciner le public asiatique. Des histoires simples mais intégrant des éléments de patrimoine commun – la famille pour les dramas -, des idoles à la tête d’ange pour la chanson conquièrent le public. Cette mode touche d’abord la Chine et Taïwan pour se diffuser rapidement aux autres pays tel que la Turquie, l’Iran, la Mongolie, l’Ouzbeskistan, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, les Philippines, le Vietnam, l’Indonésie ou encore le Japon, le frère ennemi. Suivront l’Egypte, l’Amérique latine. Un véritable embrasement. A chaque pays sa série préférée ou son groupe de musique fétiche. Si les attentes sont différentes et spécifiques selon les pays, une culture asiatique commune émerge à travers le Hallyu. En 2005 cette déferlante coréenne est qualifiée de phénomène régional. Musique ou série le succès est avant tout un succès commercial; la musique est marketée à l’extrême, les séries écrites au fil de l’eau pour intégrer les demandes des téléspectateurs sont surtout très bon marché. Etre chanteur ou acteur dans cette machine à produire relève plus de l’esclavage que de la création artistique; les hommes travaillent d’arrache-pied, les femmes considérées comme de vulgaires objets sexuels au service de producteurs ou politiciens véreux.
Les commentateurs français se plaisent à imaginer une orchestration en sous main du gouvernement coréen de cette déferlante culturelle. Il n’en est rien, le succès de Psy en est le parfait exemple. Il est certain qu’on ne peut pas faire l’impasse sur l’effet du Hallyu qui transcende les frontières et impacte aussi bien le politique que le social. Robert L. Cage de l’Université de l’Illinois spécialiste du cinéma fait remarquer que la « Vague coréenne a joué un rôle clef pour restaurer la légitimité économique et culturelle de la Corée lors des négociations d’accord de libre-échange. Elle aide à amoindrir les tensions entre la Corée et le Japon tout particulièrement lors des moments de crise (comme les îles Dokdo) et à fédérer les communautés de fans en Asie et à travers le monde. Au delà du simple fait économique, la Vague coréenne a changé le climat culturel en Asie. » Des conséquences évidentes dont profite le gouvernement coréen mais dont il est nullement initiateur. C’est le business et chacun guette le revirement de tendance.
Quand deux cultures se rencontrent, elles s’échangent ce qu’elles ont de pire
Psy et ses avatars ne font pas honneur à la culture coréenne. Dans Educating Young Nations, W.E.F Ward fait remarquer : « quand deux cultures se rencontrent, ce sont souvent les éléments les plus éphémères et les plus dépourvus de valeur qui se transmettent le plus facilement ». En d’autres mots elles s’échangent ce qu’elles ont de pire. Il continue : « Pour l’éducateur, c’est toujours une course de vitesse désespérée avec les autres influences, quand il veut communiquer à ses élèves certains éléments les plus noble de (sa) culture (…) . »
Depuis une dizaine d’année, le gouvernement coréen soit pour des raisons économiques, soit dans une véritable logique de soft power a endossé ce rôle d’éducateur. Si le tourisme est une réussite et mérite à lui seul un article, il existe aussi trois domaines emblématiques dont l’action gouvernementale est plus discrète mais tout aussi efficace : le cinema, le manhwa et la littérature. Pour mettre en œuvre sa politique de développement culturelle, la Maison bleue s’appuie sur trois agences.
Pour le cinéma, l’agence gouvernementale s’appelle le KOFIC (Korean Film Council). Son but est de remettre en selle le cinéma national. Les années de 1955 à 1972 considérées comme l’âge d’or du cinéma coréen sont bien loin. Depuis des années Hollywood s’impose sur le marché national. Si le cinéma relève la tête dans les années 99 et 2000, le gouvernement décide de le soutenir et d’assurer sa diffusion à l’international. En 1999, il sort du placard une veille institution (Korea Motion Picture Promotion Corporation) qu’il dépoussière; le KOFIC débute son activité dès mai 99. Son système de fonctionnement s’inspire du CNC français. Son objectif est de « promouvoir, aider les films coréens en finançant la recherche, l’enseignement et la formation professionnelle ». Pour 2012, le KOFIC a un fond de 420 millions de dollars. Le gouvernement le finance à hauteur 172 millions, 172 autres millions sont prélevés sur les recettes (3% du ticket d’entrée) et les 89 millions restant sont le reliquat de l’année précédente. Les actions du KOFIC sont multiples touchant tous les domaines, n’hésitant pas à investir directement dans l’industrie si besoin. Et cela fonctionne avec un box-office qui peut laisser rêveur tout producteur; The Thieves fait quasi 13 millions d’entrées en 2012 laissant loin derrière lui The Avengers, premier film étranger, avec son petit 7 millions d’entrées. Paradoxalement alors que la Corée est devenue une machine à fabriquer des blockbusters pour son marché intérieur, sa reconnaissance internationale tient à son cinéma d’auteur. Il s’exporte, est primé et reconnu mais n’est quasiment pas distribué dans le réseau de salles de la péninsule.
La diffusion du manhwa (les manga sauce Corée) bénéficie de l’aide du KOCCA (KOrea Creative Content Agency). Créé en 2001, l’agence a pour vocation de « promouvoir les productions culturelles coréennes dans le monde entier ». Elle est présente dans quatre grands domaines : « la subvention à la création, l’aide à l’exportation, la formation des professionnels, le développement des technologies liées aux productions culturelles ». Avec des bureaux à Londres, Tokyo, Los Angeles et Pékin, la volonté de promotion est clairement internationale. En ce qui concerne le manhwa, ses actions se traduisent par des présences sur des salons comme le Pavillon coréen du Festival d’Angoulême de 2003 avec la venue d’une vingtaine d’auteurs, deux années de présence à la Japan-Expo , des publications dont {Manhwa 100, les 100 titres incontournables pour les passionnés du manhwa} en français et en anglais. Le KOCCA intervient aussi dans les domaines du jeu vidéo, de la musique (financement de tournées à l’étranger ou participation à des festivals), du cinéma, de l’animation et la gestion des licences. Pour les jeux (video, online et mobile), l’agence joue une rôle d’intermédiaire, la Chine étant le plus gros acheteur suivi du Japon. Pour l’animation le soutien va jusqu’au financement d’anim à travers le Global Animation Project.
Avec un budget de 140 millions d’€uros, c’est 70 projets qui seront soutenus en 2013 dont le « Gyeongju Culture Expo 2013 » qui se tiendra à Istanbul en septembre prochain. Cette année voit aussi l’entrée dans le giron du KOCCA de la Mode made in Korea.
Le cas de la littérature coréenne est le plus emblématique. La diffusion de la culture coréenne a trouvé un allié de poids auprès de cette agence : le LTI Korea (Literarure Translation Insitut of Korea). Créée en 2001 à partir du Korean Literature Translation Fund, sa fonction la plus visible est le financement des traductions d’œuvres de la littérature coréenne. Avant cette date les traductions sont financées soit sur des fonds privés comme la Fondation Daesan de la compagnie d’assurance Kyobo ou des fonds publics comme la Fondation coréenne pour la culture et les arts devenue depuis le Conseil des arts de Corée, soit en dernier recours par les éditeurs avec parfois un piètre résultat.
En un peu plus de dix ans le LTI Korea s’est montré d’une efficacité redoutable :
- 800 traductions financées sous forme de bourse dans une des trente et une langues gérées par l’agence; 311 textes pour le français, 700 en chinois. Ce sont les traducteurs ou éditeurs qui proposent les œuvres à traduire,
- Une communication auprès des éditeurs étrangers par l’intermédiaire d’une lettre trimestrielle,
- Des bourses pour financer des projets éditoriaux,
- Le financement des déplacements des auteurs lors de rencontres ou salons,
- Un concours de notes de lecture organisés chaque année dans 16 pays,
- Une académie pour former les traducteurs, 5 langues sont concernées : allemand, anglais, espagnol, français et russe.
Et c’est bien cette aide du gouvernement qui a fait émerger à travers le monde une littérature coréenne de qualité. Prochaine étape selon Kim Seong-kon, le président de l’agence nommé l’an passé, s’adresser directement aux critiques et aux universitaires : « Nous ne pouvons pas nous contenter de juste traduire et publier à l’étranger, les recensions des critiques et des universitaires étrangers sont extrêmement importantes ». Cela passe d’abord par la créations de listes de contact, de la romanisation des noms d’auteurs et ensuite des actions de communication. Dans ce but l’agence a vu une augmentation de son budget qui est passé à 4,5 millions d’euros pour 2012.
Serge Safran (d’abord chez Zulma et ensuite avec sa propre maison d’édition), les éditions Philippe Picquier et depuis récemment Gingko éditeur, en s’inscrivant dans la logique de publication du LTI Korea, sont, d’une certaine façon, le véritable bras armé en France du soft power coréen, qui pour le coup, s’orchestre depuis Séoul.