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Séoul, les bons tuyaux

Sans infrastructure véritable aidant et encadrant la recherche d’emploi, le Coréen exploite au maximum son réseau afin de décrocher un emploi.

Le tissu social sud-coréen repose sur de subtils et denses réseaux sociaux : Communautés de quartier, groupes de prières, anciens élèves d’un établissement, anciens collègues, clubs sportifs, famille, l’individu ne prend sens qu’à travers ces groupes sociaux qui, s’ils se superposent, ne sont jamais interdépendants.

60% des chercheurs d’emploi retrouvent un travail grâce à leurs réseaux

Un rapport publié en novembre 2011 par le Korea Development Institut, un organisme parapublic qui a pour vocation de faire des analyses sur les impacts des politiques gouvernementales à court et moyen termes, s’intéresse plus particulièrement au mode de recrutement sur le marché du travail coréen. Intitulé « Impact des réseaux sur la recherche d’emploi », le rapport souligne la part importante du réseau sur le recrutement au détriment des autres canaux. En effet, sur un panel de 6 165 personnes, suivi de 2003 à 2007 pour étudier leurs techniques de recherche d’emploi, il apparait que plus de 60% des chercheurs d’emploi ont été recrutés par le biais d’un réseau. Dans 36,4% des cas, ce réseau est constitué par les amis et la famille. Pour 7,9%, ça a été le fait d’anciennes connaissances professionnelles et pour 7,8% par des salariés déjà en place dans la société que le chercheur d’emploi prospectait.

Le réseau est plus usité pour des salariés avec une expérience professionnelle que par des jeunes diplômés. De même les employés à temps-partiel ont plus fait appel à leur réseau pour trouver un emploi que les salariés à temps-plein. On apprend aussi que les hommes le sollicitent plus que les femmes.

Le phénomène est d’ampleur puisqu’en moyenne seulement 25% des offres de recrutements publiées sont pourvues par un recrutement classique. Les ¾ des recrutements sont réalisés via un réseau. 70% des salariés des PME de moins de 30 salariés ont été recrutés de cette façon. Pour les groupes de plus de 500 salariés, c’est là aussi la moitié des postes qui sont pourvus en faisant appel au réseau, et moins d’un tiers par la publication d’offre d’emploi.

Le fait est remarquable : Il y a encore une dizaine d’années, les études sociologiques  laissaient penser que ces structures sociales traditionnelles, basées sur la confiance, voleraient en éclat car abruptement confrontées à une société matérialiste qui s’aventurait tête baissée dans la libre entreprise. C’était sans compter ces « éléments de flou dans la culture traditionnelle coréenne » que l’on qualifie facilement d’irrationnels, mais qui pourtant constituent des facteurs importants, facilitant l’adaptation à un monde en constante évolution. La libre entreprise d’accord, mais sans remettre à mal son modèle social basé sur la confiance et l’altruisme.

Made in Seoul

La Corée du Sud est souvent montrée comme un modèle de développement économique, où éducation et emploi vont de pair. Pourtant malgré un taux de chômage très bas, les statistiques et la réalité nous mettent face à une autre réalité.

La Corée du Sud est souvent citée comme l’exemple de réussite d’une économie du plein emploi en temps de crise financière généralisée. Les statistiques publiées régulièrement par le ministère du travail, et reprise par l’OCDE, viennent conforter l’idée qu’un système éducatif performant est la garantie d’une très bonne employabilité et donc d’un taux d’inactivité très faible. En effet avec un taux de chômage de 3,4% à la sortie de la crise qui laisse rêveur, l’image d’un marché du travail dynamique dans la quinzième économie mondiale est très forte.
La Corée du Sud est le pays de l’OCDE[1]Education at a Glance 2011 : http://www.oecd-ilibrary.org/education/education-at-a-glance-2011_eag-2011-en qui engage le plus de dépenses dans son système éducatif, et talonne l’Islande en dédiant à ce secteur, 7,6% de son PIB (dont 4,7% pour le secteur public). Comme l’accès aux meilleures écoles est l’assurance d’une future réussite professionnelle, les familles n’hésitent pas à consacrer 30% de leurs revenus (12% en 2006) pour financer à leurs rejetons, des cours particuliers et privés en fin de journée déjà très chargée. Cours du matin pour une préparation aux examens d’entrée à l’université, cours du soir pour s’avancer sur les programmes scolaires, les nuits séoulites s’égayent de mini-bus qui transportent enfants et adolescents à leurs cours privés.

Plus de jobs que de travail

Pourtant cet investissement important dans le système éducatif est loin d’être une garantie de trouver automatiquement l’emploi désiré, même si a priori le taux de chômage « officiel » peut le laisser penser : 35% de la population active ne cotisent pas à un système de chômage, soit parce que l’entreprise a moins de trois salariés, soit parce que le travail est un job (moins de 80 heures par mois). Sans couverture social, le job est de mise pour survivre et les jobs sont nombreux en Corée. On repère ces gisements de salariés low cost ainsi dans toute la société séoulite : des étudiants, main- d’œuvre corvéable à 4€ de l’heure, recrutés par les chaînes tels que Starbucks, Zoo Coffe ou Cafe Bean ; des retraités, profitant des transports gratuits, qui font office de livreurs pour la multitude de sites internet ;  des femmes sous-payées qui représentent l’essentiel des employés de commerce et des supermarchés ouvert 24h/24h ;  des cumulards d’emplois, à l’image de ces enseignants qui le soir s’improvisent conducteurs pour ramener les propriétaires de voitures éméchés après avoir passé une soirée entre collègues[2]Statistiques sur le marché du travail en Corée (en anglais) :http://www.moel.go.kr/english/statistics/major_statistics.jsp.

La population invisible des diplômes sans emploi

Si cette population précaire qui ne bénéficie pas de la couverture d’une assurance- chômage est clairement identifiée, il en est une autre en revanche qui échappe à toutes statistiques sur le chômage : les diplômés sans emploi. Plus du tiers des 25-64 ans sont déclarés sans activité, dont la majorité est diplômée. Les chiffres publiés par l’OCDE[3]Employment Outlook 2011 – How does KOREA compare? :http://www.oecd.org/dataoecd/8/16/48684056.pdf à la mi-septembre sont venus confirmer la situation de crise à laquelle doit faire face le gouvernement de Lee Myun-bak, car au sein de l’organisation internationale, la Corée du Sud est lanterne rouge, précédant tout juste la Turquie, avec un taux d’emploi de seulement 76% pour les diplômés du tertiaire (70% pour les 2e cycle du secondaire et post-secondaire non tertiaire). A titre de comparaison, la France se situe dans la moyenne de l’OCDE avec 84%, la Norvège se réservant la première place de ce classement avec 90%. Alors qu’au recrutement ils sont préférés par les grands groupes et les administrations, les jeunes diplômés sud-coréens mettent en moyenne 11 mois pour trouver un travail.

 

Petits boulots : diplômés contre non-qualifiés

Entre logique éducative poussée à l’extrême dans l’espoir de décrocher la « bonne situation », et souci d’offrir un service gratuit 24h/24h  mais qui multiplie les emplois précaires, les responsables politiques ont bien des difficultés à trouver une solution à un marché de l’emploi complexe, où les mieux diplômés finissent par occuper des postes d’emploi non-qualifiés. Pour l’instant, on court au plus pressé : les 30 plus importantes entreprises de Séoul se sont ainsi engagées à multiplier les embauches, dont une moitié de diplômés pour le deuxième semestre 2011. Mais le gouvernement également insiste auprès des administrations pour qu’elles évitent une discrimination massive  à l’embauche pour les non diplômés ; cela reste à ce jour un vœu pieux puisque en juillet dernier, les entreprises du secteur public ont « annoncé qu’elles auront du mal à les embaucher ».

Notes

Notes
1 Education at a Glance 2011 : http://www.oecd-ilibrary.org/education/education-at-a-glance-2011_eag-2011-en
2 Statistiques sur le marché du travail en Corée (en anglais) :http://www.moel.go.kr/english/statistics/major_statistics.jsp
3 Employment Outlook 2011 – How does KOREA compare? :http://www.oecd.org/dataoecd/8/16/48684056.pdf